Un algorithme atteint une performance inédite dans l’identification de la faune africaine

Par Anne-Sophie Tassart le 

L’algorithme DeepForestVision, développé par une équipe internationale, atteint une précision de 87,7 % quand il identifie les animaux sillonnant les denses forêts africaines.

Des chimpanzés identifiés par DeepForestVision.

Dans les forêts denses et tropicales africaines – les plus grandes après l’Amazonie – même un observateur expérimenté peut peiner à y apercevoir les animaux. Ils peuvent être particulièrement discrets ou nocturnes. Ou même tout simplement rares. Cette méthode, basée uniquement sur l’humain, est gourmande en temps et en ressources. Alors aujourd’hui, les pièges photographiques, des outils automatisés, permettent de garder un œil furtif au cœur de cet environnement. Avec eux, un autre problème se pose : la quantité colossale de données amassées par cette méthode. Photos et vidéos ont ensuite besoin d’être stockées et exploitées.

« Pour un piège photo, pendant une semaine à la station de recherche du Sebitoli Chimpanzee Project dans le parc national de Kibale en Ouganda, nous obtenons en moyenne 40 clips de 30 secondes, ce qui demande 2 heures d’analyse par un membre de l’équipe, compte Hugo Magaldi, ingénieur de recherche au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). Pour le parc entier de pièges, nous obtenons environ 1000 clips par semaine, soit 50 heures de travail pour une personne« .

Une tâche titanesque. Pour simplifier le processus, une équipe internationale pilotée par la professeure Sabrina Krief et Hugo Magaldi (unité de recherche Éco-Anthropologie, sous la tutelle du CNRS, du MNHN et de l’Université Paris Cité), a mis au point DeepForestVision, un puissant outil basé sur l’intelligence artificielle et capable de traiter avec une précision inédite les photos et les vidéos captées par les pièges photographiques.

Un éléphant identifié par l\'algorithme.

Un éléphant identifié par l’algorithme. Crédit : Sebitoli Chimpanzee Project / Sabrina Krief

Un algorithme entraîné sur plus de 2,7 millions de photos

La méthode du deep learning est déjà capable d’extraire des images, le nom des espèces observées, d’identifier les individus ou de décrire leur comportement. Des algorithmes nommés Zamba, Mbaza ou encore SpeciesNet peuvent jouer ce rôle pour les forêts tropicales africaines. Avec cependant quelques limites. Le premier ne peut s’utiliser qu’en ligne, ce qui le rend inaccessible sur le terrain, le second a perdu en performance car la version open source gratuite est aujourd’hui délaissée et enfin, SpeciesNet n’est pas spécifiquement formulé pour les forêts tropicales africaines.

« Nous avions trois objectifs pour que DeepForestVision soit réellement utile aux projets de recherche et de conservation : une haute performance sur une large gamme d’espèces; une accessibilité sur le terrain sans connexion internet et sur un ordinateur quelconque et qu’il soit open source, pour que des chercheurs du nord comme du sud puisse se l’approprier et l’améliorer selon d’autres besoins« , énumère M. Magaldi.

Cet algorithme a été entraîné sur plus de 2,7 millions de photos et plus de 220.000 vidéos compilées auprès de pièges photographiques positionnés sur plus de 63 sites de recherche à travers 11 pays africains.

Un chat doré identifié par DeepForestVision.

Un chat doré identifié par DeepForestVision. Crédit : Sebitoli Chimpanzee Project / Sabrina Krief

Une performance inédite

D’après les résultats publiés le 15 décembre 2025 dans la revue Ecological Solutions and Evidence, il est capable d’identifier 33 taxons de vertébrés non-humains, dont 31 taxons de mammifères « des plus communs aux plus menacés« , assurent les chercheurs. Il identifie aussi les humains et les véhicules et déploie une précision de 87,7 % quand il est testé sur des vidéos. D’après l’étude, « il surpasse les trois algorithmes d’identification d’espèces existants applicables à ces environnements : Zamba de 13,1 %, Mbaza de 45,0 % et SpeciesNet de 37,7 %« .

Des performances qui pourront être améliorées dans le futur en nourrissant l’algorithme avec de nouvelles données. « Cela permettra d’améliorer les performances sur les espèces difficiles à reconnaître, soit parce qu’elles sont rarement observées et donc peu vues par l’IA dans sa phase d’entraînement, soit parce qu’elles ressemblent à d’autres espèces« , explique l’ingénieur de recherche.

Une montée en puissance nécessaire aussi car si l’IA se montre plus rapide qu’un observateur expérimenté, elle commet néanmoins plus d’erreurs que lui : 10 % environ lors du test, contre entre 1% et 2% d’erreurs chez un observateur. Elle ne peut donc pas remplacer l’humain, mais plutôt lui mâcher le travail. « En indiquant les prédictions dont elle est la plus sûre et la moins sûre, l’IA permet à l’observateur de ne vérifier que les prédictions incertaines pour les espèces d’intérêt« , précise Hugo Magaldi.

Un serval identifié par l\'algorithme.

Un serval identifié par l’algorithme. Crédit : Sebitoli Chimpanzee Project / Sabrina Krief

Mieux connaître la faune pour mieux la protéger

Repérer et estimer les populations animales dans un écosystème donné n’est pas un caprice de biologiste. « Le suivi de la biodiversité animale dans ces milieux permet de quantifier l’impact des pressions anthropiques et, inversement, celui des politiques de conservation (efficacité des zones protégées par exemple)« , indique M. Magaldi. Il permet donc des prises de décision éclairées et concrètes sur le terrain. En outre, avec ces images les chercheurs peuvent aussi repérer des comportements spécifiques ou des interactions inattendues entre espèces.

Un tel algorithme ne ferme pas non plus totalement la porte à une utilisation pour lutter contre le braconnage, même si l’application peut se révéler moins facile qu’elle n’y paraît. « Le problème pour mettre en place cela dans nos zones de recherche en forêt tropicale africaine vient de la logistique nécessaire : connexion des caméras et du système d’alerte en temps réel avec un ordinateur distant, source d’énergie par panneau solaire et ressources humaines disponibles pour répondre aux alertes, notamment des équipes de rangers« , tempère l’ingénieur de recherche.

En attendant, une seconde version de DeepForestVision est déjà en cours de développement, comprenant environ 30 classes d’animaux supplémentaires.

Source : https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/un-algorithme-aide-les-chercheurs-a-identifier-les-animaux-dans-les-denses-forets-africaines_189942?context=newsletter&at_medium=email&at_emailtype=retention&at_campaign=SEA_NL_Essentiel&at_creation=Essentiel_SEA&at_send_date=20251218&at_link=&at_recipient_id=&at_recipient_list=Essentiel_Actito_Targeting&_ope=eyJndWlkIjoiZWM2ZjlhN2JjNzhkZmEyYzllYTlhMmFjMjQ5ODE0NTAifQ%3D%3D