Jacques Guérin , conseil de l’ordre des vétérinaires: « La télémédecine va permettre de bonifier le suivi de l’animal en élevage »

Depuis un décret paru le 6 mai, les vétérinaires sont autorisés à expérimenter la télémédecine pour 18 mois (lire DV n° 1528). En charge du suivi de cet essai, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires remettra un rapport d’ici fin 2021, en vue d’une éventuelle pérennisation. Son président en attend une amélioration du service rendu aux éleveurs.

■ Le gouvernement vient d’autoriser l’expérimentation de la télémédecine vétérinaire. Êtes-vous satisfait de cette mesure et du cadre fixé ?

Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires : Ce qui me satisfait le plus, c’est que le ministère de l’Agriculture a anticipé qu’on pouvait peut-être ne pas complètement avoir raison avec un seul texte et a donc choisi de passer par une phase expérimentale.

C’est extrêmement judicieux. Nous avons 18 mois devant nous pour vérifier si ce premier cadre correspond aux attentes des détenteurs d’animaux et des vétérinaires, s’il ne dégrade pas la qualité des soins et le maillage vétérinaire.

■Quand cette réflexion a-t-elle débuté ?

J.G. : Pour moi, le sujet prend naissance en 2016, en «canine ». C’est le moment où est arrivée une offre de services de régulation téléphonique. Nous avons été confrontés à cette innovation et constaté que nous n’avions pas de base juridique.

En ce qui concerne l’élevage, le décret du 24 avril 2007 instaurait le suivi sanitaire permanent et permettait déjà le diagnostic à distance, sous certaines conditions : continuer à assurer les permanences et urgences ainsi que les actes chirurgicaux et de médecine quand ils sont nécessaires, réaliser ce diagnostic pour un élevage connu au préalable, mettre en place un suivi de l’animal…

Il y avait des critères d’alerte à mettre en place qui, lorsqu’ils sont dépassés, imposent une consultation physique ou une visite de l’élevage. Ce n’est ni plus ni moins que de la télésurveillance. Ce sont les ferments qui ont abouti au cadre de l’expérimentation d’aujourd’hui.

Le Covid-19 a ensuite servi de révélateur et accéléré le mouvement.

■ Qu’attendez-vous de la télémédecine en élevage ?

J.G. : Une des applications essentielles sera la téléconsultation pour le suivi de l’animal, après l’avoir consulté physiquement.

Cela permettra de voir comment l’animal réagit au traitement, de faire une évaluation 24 heures, 48 heures ou une semaine après, sans pour autant mobiliser le vétérinaire et l’éleveur.

Dois-je à nouveau perfuser un veau déshydraté ? Ce genre de question peut se traiter à distance. On va gagner du temps et l’éleveur va gagner en capacité à appeler plus facilement le vétérinaire.

Au final, le suivi de l’animal va en être bonifié. Plus largement, j’ai la conviction que la télémédecine va pousser l’innovation dans la relation vétérinaire-éleveur et dans la manière dont on suit ou consulte un animal. J’en attends un déclic pour les objets connectés et les pratiques novatrices.

■ La télémédecine était-elle demandée par les professionnels sur le terrain ?

J.G. : On constate que les éleveurs ont un emploi du temps plus que chargé. Quand un vétérinaire se déplace dans une exploitation ou qu’un éleveur se rend dans un établissement de soins, on perd du temps et de l’argent.

Il y a déjà eu des solutions mises en place, comme le suivi sanitaire permanent. Aujourd’hui, on est capable de résoudre un certain nombre de questions sans se déplacer systématiquement dans les élevages.

Prenons l’exemple d’une zone à faible dotation en vétérinaires, parfois aussi à faible densité d’élevages. Quand on se déplace pendant 1 heure aller et 1 heure retour, il faut être certain que l’animal est malade et nécessite une intervention. La télémédecine permettra d’évaluer l’état de santé de l’animal et d’apprécier le degré d’urgence.

Une des attentes dans ces zones rurales et à faible densité d’élevages est de rationaliser au mieux les temps de déplacement.

■ Techniquement, tous les outils sont-ils en place ?

J.G. : Il existe une dizaine d’offres de plate-formes dédiées à la télémédecine vétérinaire et à la régulation médicale vétérinaire.

Nous n’avons pas souhaité que la télémédecine passe uniquement par ces plate-formes. Tous les outils sont possibles, même les outils grand public comme Zoom ou Skype, à partir du moment où ils offrent une bonne qualité de son et de vidéo.

Ce ne sont pas les outils qui sont limitants mais plutôt la bande passante dans certaines zones.

Après, s’il y a des initiatives privées qui apportent des services supplémentaires, c’est du domaine de la libre concurrence.

■ Quid du consentement de l’éleveur ?

J.G. : Le flux d’informations doit, bien sûr, être accepté au préalable par l’éleveur. Le cadre contractuel doit se mettre en place. La relation va être facilitée à partir du moment où les données transitent de façon claire et sécurisée entre l’éleveur et le vétérinaire.

■ D’après le décret instaurant l’expérimentation de la télémédecine, son utilisation« relève de la seule responsabilité du vétérinaire ». Pourquoi ce choix ?

J.G. : La consultation peut se faire à l’initiative du vétérinaire comme du détenteur de l’animal, cela ne pose pas de problème. Mais c’est le vétérinaire qui prend la décision d’aller au bout de la téléconsultation et de poser un diagnostic s’il estime avoir assez d’éléments. Car, quand il établit un diagnostic, il engage sa responsabilité.

Or, à distance, on se prive d’un certain nombre d’éléments : on ne peut pas ausculter, palper, fouiller ou faire des percussions. C’est pour cela que le décret ne permet pas de prescrire d’antibiotique critique à distance car, par essence, cette prescription doit être précédée d’un prélèvement biologique.

■ Quels objectifs visez-vous en termes de participation des praticiens à cette expérimentation ?

J.G. : Nous ne nous sommes pas fixé d’objectif chiffré. Nous cherchons plutôt à faire entrer un maximum d’établissements de soins vétérinaires dans l’expérimentation.

Il y a plus de 100 établissements qui se sont déclarés en quelques jours.

Mais nous savons aussi que changer les habitudes peut prendre du temps. Pour un vétérinaire, construire une offre de télémédecine ne se fait pas d’un claquement de doigts.

Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, un certain nombre de vétérinaires font de la télémédecine sans le savoir. D’après une enquête interne, 14 % des vétérinaires font déjà des actes de télémédecine.

■ Comment allez-vous évaluer les résultats de l’expérimentation ?

J.G. : En coopération avec la Direction générale de l’alimentation, nous avons déterminé les informations nécessaires.

Un établissement de soins qui souhaite participer à l’expérimentation s’inscrit sur une liste. Au sein des établissements, nous avons demandé que soit identifié un référent pour la télémédecine, avec qui nous serons en lien privilégié.

En demandant à pouvoir exercer la télémédecine, les vétérinaires vont s’engager à remonter un certain nombre d’informations, qui seront bien sûr anonymisées.

■ De quelles informations s’agit-il ?

J.G. : Elles portent sur la nature de l’acte (consultation, surveillance, expertise, assistance), l’espèce animale, le domaine de pathologie ou encore la distance entre le vétérinaire et la personne bénéficiaire.

Cela nous permettra de mesurer l’intérêt de la télémédecine et de voir si elle est plutôt utilisée en proximité ou à distance.

Nous allons aussi mesurer la satisfaction des clients et interroger les vétérinaires. L’acte est-il allé au bout ? S’est-il traduit par un diagnostic, une prescription ? L’acte a-t-il été interrompu pour des raisons techniques ?

Nous recueillerons certaines de ces données au fil de l’eau, d’autres à un rythme trimestriel.

Ce sera fait en concertation avec les vétérinaires et les organisations agricoles, qui seront tenues au courant tous les trimestres. ■

Lire la suite: www.depecheveterinaire.com

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